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Afrique de l’ouest la culture de l’inachèvement des bâtiments:Cas du benin

Le voyageur qui débarque dans les villes capitales Béninoise : Cotonou et  Porto-Novo est frappé par le faciès de l’urbanisme qui semble être gouverné par une organisation et une croissance anarchique. En plus de ce caractère

Le voyageur qui débarque dans les villes capitales Béninoise : Cotonou et  Porto-Novo est frappé par le faciès de l’urbanisme qui semble être gouverné par une organisation et une croissance anarchique.

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En plus de ce caractère dont le Bénin n’a pas l’apanage en Afrique, plus frappant encore est le caractère hétéroclite des constructions, la texture des édifices et surtout leur état d’inachèvement.

En matière de construction ou d’acquisition d’une maison, l’inachèvement est à la fois une culture, un mode et une stratégie.

La chose est banalisée, si répandue qu’elle semble aller de soi, et passe inaperçue aux yeux des Béninois du cru. La plupart des maisons de la ville réelle étant inachevée à Cotonou, c’est l’inachèvement qui est devenue la norme, et l’achèvement une anomalie ou une curiosité insolente.

Dans l’océan de maisons qui constitue le tissu urbain de la ville de Cotonou, la maison achevée apparaît comme un îlot qui attire l’attention.

Si l’inachèvement est ce qui frappe le regard à Cotonou, une observation attentive permet de voir que l’inachèvement varie selon les secteurs, les époques et les états.Pour ce qui est des secteurs et des époques, on peut comprendre que cela dépende des politiques diverses et contradictoires de croissance, politiques souvent marquées par l’anarchie et la spontanéité qui dessinent de manière sauvage les contours, la position et la composition d’une ville en perpétuelle croissance.

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En revanche, pour ce qui est de l’état d’inachèvement des maisons, il traduit l’infinie diversité des situations sociales et personnelles.

Le phénomène de l’inachèvement peut paraître banal au point de ne pas mériter à première vue que l’on s’y attarde. Mais quand on y réfléchit, d’abord on s’aperçoit que les raisons qui justifient le phénomène sont au cœur de la problématique du développement.

Ensuite, on voit aussi que le caractère social du phénomène, sa persistance et sa banalité sont intimement liés à la mentalité du Béninois, à son ethos.

Dans l’un ou l’autre des cas, l’inachèvement est un phénomène culturel, qui touche aussi bien à la structure socioéconomique du Bénin et à la mentalité du Béninois.. Toutes choses qui doivent être changées, si nous voulons que ça change effectivement au Bénin.

A la question : « Pourquoi les maisons de la ville réelle sont-elles souvent inachevées dans nos villes ? » nous renvoyons à une tentative de réponse donnée dans un essai précédent intitulé : «  Les Maison Inachevées. » Dans cet essai, plusieurs raisons de cette culture d’inachèvement ont été avancées, parmi lesquelles, il convient de retenir :

le rapport à la terre, qui fait de la maison un coin de terre ancestral

–     le sous-développement qui consacre la rareté sinon l’inexistence de sociétés de construction immobilière à des fins de logement privé

la faiblesse de l’organisation bancaire en matière de prêt immobilier privé qui renvoie à la difficulté de cerner les moyens réels des demandeurs potentiels ainsi que leur fiabilité à court et moyen terme

– la prépondérance de l’économie informelle qui privilégie le coup par coup, le refus de se projeter de façon dynamique dans l’avenir ; la préférence donnée aux actions à courte vue qui va de pair avec la pauvreté ou la difficulté de l’imagination du futur

le refus de confier à autrui la réalisation d’un projet qui concentre une grande part d’intimité et de religieux

– la maîtrise du rythme des dépenses, dans un contexte de ressources précaires et limités.

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Le Béninois construit au coup par coup, de façon artisanale, au gré des entrées d’argent. Sous cet angle, la culture de corruption et de prévarication très répandue dans le pays, et qui a été longtemps confortée sous les régimes précédents rejoint l’engouement du Béninois pour la possession d’un chez soi et apporte pour ainsi dire sa pierre blanche à l’édification de la maison individuelle.

Beaucoup de maisons sont construites avec de l’argent provenant de rapines, de détournements de deniers plus ou moins publics, ou de ressources indues et de ce fait sont une façon de blanchiment d’argent.

Les changements de régimes politiques ou les vicissitudes socioprofessionnelles donnent souvent le coup de grâce à des projets ambitieux de construction.

Tout à son bonheur corrompu le futur propriétaire béninois de maison, le Béninois se lance dans une construction monumentale sans se rendre compte que les ressources détournées ou indues sont aléatoires et limités.

C’est alors qu’une disgrâce ou un changement de fortune ou de situation vient mettre fin à la folie des grandeurs.

A Abomey où je fus en compagnie de mon ami F., celui-ci me montra un édifice immense et complexe qui s’élevait sur plusieurs étages dans un quartier modeste et calme au sud de la ville.

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L’édifice était imposant, de facture pharaonique mais malheureusement inachevé. Entamé dans les années 1990 par un homme d’affaires qui aurait fait fortune dans la vente du pétrole et les trafics de devises avec le Nigeria, l’édifice majestueux et complexe, immense amas de bloc de béton et de murs sortis de terre ne fut point achevé avant le revers de fortune de son promoteur présomptueux.

Aujourd’hui, dans son état d’inachèvement, il abrite un collège d’enseignement secondaire, une façon sociale de le soustraire à un absurde abandon. Vu le gigantisme de l’édifice et sa complexité, il ne fait aucun doute que son propriétaire eût disposé des moyens nécessaires pour achever un immeuble de taille imposante en eût-il dès le départ le désir.

Pourquoi la mégalomanie aveugle-telle le futur propriétaire béninois ?

Pourquoi ne proportionne-t-il pas son rêve à la réalité des ses moyens ?

Pourquoi en matière de construction de sa maison ne fait-il pas sien l’adage qui dit : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ?

Le plus curieux dans le cas rencontré à Abomey c’est que, à en croire Monsieur F., le propriétaire de l’immeuble pharaonique inachevé avait entamé le même type de constructions pharaoniques aux quatre coins de la ville, qui tous restèrent inachevées !

Mais le cas d’Abomey n’est pas isolé. Si parmi les maisons de standing neuves et achevées à Cotonou, beaucoup émargent au chapitre du blanchiment d’argent, nombre de constructions inachevées ont été fauchée dans leur ambitieuse croissance qui a sacrifié la possibilité d’une maison modeste achevée, à l’incertitude fatale de projets mégalomaniaques budgétivores et à termes condamnés à l’inachèvement.

–     D’un point de vue stratégique et culturel, tout ce passe comme si le Béninois préfère une maison pharaonique inachevée à une maison modeste achevée.

Mais lorsqu’on met de côté l’aspect socioéconomique qui est celui d’un pays sous-développé où les structures socioéconomiques et financières ne sont pas encore sorties des limbes de l’informel, entre le fait que l’inachèvement pour une part prend ses racines dans la culture de la corruption, il révèle aussi des traits spécifiques de la mentalité béninoise, tel que l’individualisme méthodique, le chacun pour soi, la vanité, la jalousie, le mépris du lien social, la difficulté ou le refus de se projeter dans le futur.

Ces données et ces réalités ont porté leurs marques sur le faciès urbain de nos villes. Nul ne peut dire quand exactement cette ribambelle de maisons inachevées, et habitées pour la plupart, finiront par recevoir la touche finale de maisons achevées.

Pour l’heure nos grandes villes ressemblent à un vaste chantier en arrêt, peuplées de maisons squattés et ternes.

Une politique de la ville initiée par le gouvernement avec un volet de construction de maisons pour le coup totalement achevées peut avoir valeur d’exemple ; en attendant que des lois plus contraignantes amènent le Béninois à souscrire aux normes de santé, de sécurité dans la réalisation de projets de maisons individuelles ou familiales.

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En tout état de cause, l’inachèvement des maisons individuelles ne s’épuise pas en lui-même mais renvoie à toute une dimension symbolique et mentale qui est au principe de la culture d’inachèvement.

Cette culture interpelle tout un chacun et soulève une question de fond : pouvons-nous construire une nation avec une culture de l’inachèvement ? Bien sûr que non. Dès lors, il nous faut prendre consciences des formes et effet pervers de cette culture et travailler à l’éradiquer.

Source inconnue …

nicouer@yahoo.fr

Architecte diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, Consultant en Innovation, Steve est le fondateur et directeur de publication du webmagaine archicaine.

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