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Entretien avec Roméo Mivekannin,Architecte DE

Tour d’horizons avec Roméo Mivekannin, Architecte DE → Portrait … Natif de Cotonou (BENIN), où réside sa famille et où il conserve ses racines, Roméo Mivekannin est un jeune architecte béninois tout juste sorti de l’École Nationale

Tour d’horizons avec Roméo Mivekannin, Architecte DE

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→ Portrait …

Natif de Cotonou (BENIN), où réside sa famille et où il conserve ses racines, Roméo Mivekannin est un jeune architecte béninois tout juste sorti de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse (ENSAT). Étudiant au parcours et à la formation atypique, sa volonté farouche de réussir et son rêve de toujours se sont concrétisés, au service d’une passion qui devrait lui réserver un avenir créatif.

Très au fait des problématiques liées à l’architecture de demain, il nous livre ses impressions, ses constats, et sa vision d’une profession qu’il veut centrer sur l’humain.

Formation

Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez choisi de devenir architecte ?

Parce que l’architecture est un acte politique très fort, être architecte c’est donner aux autres. Une de mes premières préoccupations fut de travailler sur l’architecture carcérale. J’ai eu l’opportunité de vivre une rencontre déterminante avec Jean-Marc Rouillan. Construire c’est résister. C’est un acte citoyen.

Quelle a été votre parcours ?

Après une formation de menuiserie-ébénisterie, je suis venu en France pour poursuivre mes études au lycée du bois de Luchon. Ensuite, après un bref passage en histoire de l’art, j’ai rejoins l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse. En son sein, j’ai côtoyé des architectes comme Daniel Estevez et Christophe Hutin, ainsi que des gens très engagés. J’ai même eu l’occasion de participer à « l’atelier learning » from à Johannesburg, aux côtés de l’architecte sud africaine Carin Smuts.Dans ce type d’atelier, la conception se fait par l’action, on est dans une logique d’émancipation.Ce qui est fait se discute, se dispute, se partage et se pense.

Quels sont les grands principes sur lesquels on vous a formé ?

Liberté, curiosité et modestie.

Au cours de votre formation, aviez-vous eu des modèles d’architectes ou aviez-vous fait des rencontres qui ont orienté ou influencé vos choix aujourd’hui ?

La rencontre qui m’a le plus marqué est celle avec l’architecte japonais Kinya Maruyama. C’est un homme souriant, qui porte toujours un petit carnet dans lequel vous pouvez trouver le collage d’une plante ou observer le portrait d’un chat ! Il s’agit d’une boîte de curiosité qui retrace ses découvertes, ses rencontres. Il entretient un lien très particulier avec la nature, en observant les saisons et les phénomènes qui en découlent.

→ Regards pro’ …

Urbanisme et aménagement du territoire

entretien-avec-romeo-mivekannin-architecte-de-1Photomontage (c) Roméo Mivekannin tous droits réservés.

Quels sont vos villes et lieux préférés au Bénin ?

Cotonou, car c’est la ville qui m’a vu grandir, et plus précisément Ahouansori (Cotonou), car c’est le lieu qui a occupé mon esprit, ma créativité et mes rencontres à la fin de mon parcours d’étudiant.

En tant que spécialiste, que pensez-vous des choix d’aménagement de vos villes ?

Vous savez, les villes africaines ont été faites sur le modèle colonial. Après l’indépendance, on a continué la même politique. Aujourd’hui, je pense qu’il est temps de réinventer nos villes, qui ont leurs spécificités.

Jugez-vous important d’associer les habitants aux décisions et aux choix d’aménagement pour leur bien-être ? Est-ce toujours le cas au Bénin ?

On construit pour les gens, donc je trouve important d’associer aux décisions ceux et celles pour qui l’on construit. Cela me paraît être le minimum.

Entre le respect d’un héritage (architecture traditionnelle) et le désir de renouveau (modernisation), les modèles architecturaux béninois actuels évoluent. La recherche de nouveaux modes d’habiter en cours pose la question de la pertinence des choix et des attitudes à adopter. Que pouvez-vous nous dire à propos de ce constat ?

La société béninoise évolue, on ne vit plus aujourd’hui comme il y a cinquante ans. Il y a de plus en plus d’individualisme, même si la notion communautaire demeure. On vit donc de plus en plus dans des appartements individuels. De plus, nous constatons une poussée démographique qui induit qu’il faudra penser rapidement à de nouveaux modes d’habitat.

Face à la poussée démographique, avec l’augmentation des besoins en logement, on imagine un changement en cours ou à venir du visage des villes béninoises. Cette transformation répond-elle aux aspirations et aux ambitions des populations ?

De toute façon, face à la poussée démographique et à l’exode rural massif, il va falloir densifier la ville, tout en préservant les qualités d’usages. La planification, les formes urbaines demandent aujourd’hui une refonte des modèles de ville, non plus uniquement basée sur la modernité et le projet d’État, mais autocentrée sur les individus, c’est-à-dire partant des dynamiques sociales, des stratégies au profit des habitants.

La promotion immobilière

entretien-avec-romeo-mivekannin-architecte-de-3Photomontage (c) Roméo Mivekannin tous droits réservés.

Parlant de la promotion immobilière au Bénin, certains fustigent le fait que les beaux logements ne sont pas inaccessibles aux foyers moyens et estiment que seuls quelques nantis peuvent se payer ce privilège. Cet état de chose est-il admissible, connaissant le niveau du Smig au Bénin ?

Oui, nous n’allons pas régler nos comptes ici, mais les élites et les politiciens africains doivent changer. Au Bénin, nous connaissons une explosion démographique et, compte tenu de l’exode rural, il y un marché gigantesque pour les promoteurs immobiliers. C’est à l’État béninois d’encadrer cette activité afin que l’on ne reproduise pas les erreurs qui ont été commises en Europe.

Les matériaux

Parlons de questions embarrassantes : les matériaux locaux. En France, on valorise les constructions écologiques faites en terre. Et il est prouvé aujourd’hui que ce type de matériau offre des avantages sur le plan thermique au regard du climat. En plus, la terre se trouve partout et elle est disponible pour tous. Mais paradoxalement, elle n’est pas encore très utilisée dans les villes béninoises. Comment l’expliquez-vous ?

On a une vision un peu archaïque de la terre au Bénin et, comme nous sommes férus de tout ce qui vient de l’occident, le béton semble être une évidence. Il faut à tout prix construire en béton ; cette soif de ressembler au modèle occidental est responsable de l’apogée de ce matériau. Les constructions verticales, tant adulées par le modèle européen, fleurissent, avec leur kyrielle de climatiseurs en façade, telles des verrues inoffensives auxquelles on ne prête plus attention. Or, l’Afrique ne doit pas copier l’Occident mais faire avec ce qu’elle possède : de la terre, des gens et de l’enthousiasme pour citer Francis Kéré. La logique dominant/dominé, la dialectique maître/esclave trouve ici son illustration la plus nette. Il est difficile d’associer l’idée d’un continent si pauvre par bien des aspects à une réussite de type occidental.

Ainsi la terre que nous foulons, celle qui nous voit naitre, sur laquelle nous construisons n’est pas symbole de pérennité et de richesse. Il est légitime lorsqu’ on est d’extraction modeste de vouloir accéder à une symbolique de réussite plus « dure ». Lorsqu’ on domine, on est assis sur du dur. C’est du haut des gratte-ciels qu’on décide.

Quelle est, d’après vous, l’alternative à la tôle dans votre pays, le Bénin ?

Je ne dirai pas « une » alternative à la tôle, mais « des » alternatives. Vous savez, l’année dernière, je me promenais sur le lac Nokoué en compagnie d’un pêcheur. Nous parlions d’inondation, tout en observant des pêcheurs qui se déplaçaient sur des radeaux, sur lesquels étaient accrochées des voiles, en guise de toit ! Nous avons dialogué avec eux. Ils n’avaient pas de problèmes avec ces « constructions », qui paraissaient pourtant bien légères. Parfois, les solutions ne sont pas bien loin. Anciennement, on construisait au moyen de croupes de paille. Mais il y a aussi le béton. Il existe, il est vrai, une solide main d’œuvre locale, et on ne peut pas le nier, qui a la faveur d’une mode éco-baba-chic venant le plus souvent de l’Occident, et qui est érigée en modèle roi.

L’environnement

entretien-avec-romeo-mivekannin-architecte-de-6Photo du site de projet de fin d’étude Ahouansori Cotonou (c) Roméo Mivekannin tous droits réservés.

Quelle est votre position face à la préoccupation environnementale dans les projets de construction ?

Je trouve qu’il est important de respecter la nature dans laquelle on construit, car nous sommes de simples locataires sur cette Terre. Comme on dit chez nous, la terre n’appartient à personne, mais il ne faut pas non plus tomber dans le fascisme écologique. Il est peu probable que le tri sélectif trouve une oreille attentive si les structures politiques en premier lieu ne le développent pas.

→ Engagement et Réseau pro’ …

Membre d’une association ? En quoi, selon vous, l’architecture peut-elle contribuer au bien-être des populations ?

Aujourd’hui non, mais demain, pourquoi pas, car l’engagement quel qui soit doit être mené avec patience et conviction. Je ne crois pas que l’architecture puisse changer la vie des gens mais, par contre, je crois profondément qu’elle peut l’améliorer.

entretien-avec-romeo-mivekannin-architecte-de-7Photo du site de projet de fin d’étude Ahouansori Cotonou (c) Roméo Mivekannin tous droits réservés.

Dans votre pratique quotidienne d’architecte, quels sont vos engagements pour votre pays ?

Je vois le rôle de l’architecte contemporain comme un agitateur du quotidien, car je ne pense pas que l’on puisse exercer ce métier, comme auparavant, de façon conventionnelle. Et en Afrique, qui est un continent en pleine mutation, il va falloir faire évoluer la pratique de la profession. L’architecture ne peut pas continuer à n’être réservée qu’aux riches.

Ce que j’aime le plus dans ce métier, c’est la multiplicité avec laquelle il peut être pratiqué. Aller à la rencontre des gens, partir de rien, de contraintes, d’une problématique pour construire une idée, etc.

Le Bénin est entrain de réécrire les pages de son avenir. Avez-vous déjà participé à des débats, tables rondes, conférences ou colloques sur le rôle des architectes dans le développement de votre pays? (si oui, vos impressions sur ces rencontres).

Vous savez, les grandes discussions, ce n’est trop pas mon truc. Par contre, les actions concrètes, oui, je suis preneur. J’ai bien conscience en vous disant cela de l’aspect abrupt de ma réponse. Il va de soi qu’il faudra savoir s’ asseoir à la table des différents interlocuteurs (sociaux, professionnels, politique et économique) pour mener des actions concertées efficaces. C’est ce même goût du résultat efficace qui me porte parfois à des réponses impulsives.

Quels sont vos rapports avec les autres architectes béninois ? Avez-vous parmi eux des modèles ?

Ce sont des rapports cordiaux que j’entretiens avec eux, mais si l’on veut parler de modèle, je parlerai sans hésiter de l’architecte Francis Kéré. C’est un homme d’une grande générosité. Architecte formé en Allemagne, il a réussi à transposer le rationalisme enseigné à l’Université Technique de Berlin aux conditions locales de Gando (Burkina). Une vraie leçon d’architecture pour moi. Réussir à concilier le « bâtir durable » et les peuples en mal d’habitat, il faut le faire !

Que pensez-vous de l’initiative de ce webmagazine qui vise à faire la promotion des architectes africains et les rapprocher de la diaspora pour susciter des commandes ?

Je pense que c’est une plateforme importante pour toute l’Afrique, car non seulement il représente une visibilité sur la scène internationale de l’architecture contemporaine africaine, mais en même temps ce magazine promeut toutes les actions de la diaspora, et c’est un plaisir de savoir qu’ un organe de presse nous relie et nous aide à construire l’ avenir.

→ Mot de fin …

Du courage et bon vent à Archicaine !

Contact:  mivesky@gmail.com

Propos recueillis par Steve Nicoué Steve Architecte DE

 

nicouer@yahoo.fr

Architecte diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, Consultant en Innovation, Steve est le fondateur et directeur de publication du webmagaine archicaine.

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