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Les nouvelles technologies, outils pour sécuriser le foncier en Afrique

[vc_row][vc_column][vc_column_text]Joyce Mavoungou, urbaniste de formation, spécialiste des villes des Sud et diplômée de l’Ecole d’Urbanisme de Paris, présente plusieurs expériences professionnelles en France et en Afrique dans les domaines de la construction (BTP), la planification

Joyce Mavoungou, urbaniste de formation, spécialiste des villes des Sud et diplômée de l’Ecole d’Urbanisme de Paris, présente plusieurs expériences professionnelles en France et en Afrique dans les domaines de la construction (BTP), la planification urbaine et le foncier. C’est durant son stage de fin d’études qu’elle découvre le secteur du foncier au Ghana. Forte de cette expérience, elle aborde aujourd’hui pour Archicaine le sujet de l’utilisation des nouvelles technologies dans ce secteur en Afrique.

Le foncier est un des principaux moyens de subsistance et vecteurs d’investissement, d’accumulation de richesse et de sa transmission entre les générations. L’accès à la terre représente donc un levier important de la lutte contre la pauvreté dans les villes des Suds. Pour ces villes dont le développement est rapide, il paraît fondamental de sécuriser cette ressource. Les difficultés liées au foncier et à sa maîtrise sont diverses : insécurité de la tenure et des transactions foncières, fraudes, absence de titres, obsolescence des registres, complexité des systèmes et des droits fonciers. Les propriétaires, les locataires, les futurs acquéreurs, les banques, les administrations publiques doivent tous faire face à ces difficultés. Il peut par exemple être difficile pour un particulier d’obtenir la confiance des banques afin de contracter un prêt dans le but d’acquérir un terrain. Les transactions foncières sont donc complexes, longues et parfois hors des voies légales, ce qui conduit à une incertitude de la tenure. Sans titre de propriété formel, il est difficile d’avoir accès à un financement, à des investissements. Sécuriser le foncier permettrait donc d’accélérer la croissance économique et de réduire la pauvreté.

L’importance de maîtriser le foncier s’explique par la dynamique démographique. La population urbaine en Afrique subsaharienne est de 472 millions d’habitants. Une très forte pression s’exerce sur les villes, comme Accra et ses 4 millions d’habitants, ou encore Lagos, Kinshasa… Avec des taux d’accroissement d’environ 3,5% par an, selon la Banque Mondiale, il est primordial de produire d’ici les dix prochaines années environ 25 km² de terrains réguliers et équipés afin de répondre aux nouveaux besoins en logement, en garantissant un développement urbain durable et juste. L’urbanisation rapide et les objectifs de développement économique induisent la nécessité de mettre en place des moyens innovants de maîtrise urbaine, de gestion foncière, un meilleur accès aux parcelles pour un développement urbain équilibré.

D’autre part, la sécurisation foncière représente un triple enjeu :

  • Un enjeu sociétal : en Afrique, la propriété est vue comme un signe de réussite sociale. Cela est notable non seulement en Afrique mais également relevé par de nombreux sociologues internationaux comme Robert Castel dans son ouvrage, les Métamorphoses de la question sociale. Cette recherche de titre ou de position au sein de la société est au cœur des mécanismes de son évolution. Ainsi, dans les sociétés et les villes africaines en pleine transformation, pourquoi, pour qui et comment assurer la propriété ?
  • Un enjeu social : la mauvaise gestion du foncier, l’informalité et l’absence de titres légaux sont les sources de division de beaucoup de famille. Assurer la légalité des titres fonciers permettrait de limiter les litiges familiaux, notamment en ce qui concerne les questions d’héritages.
  • Un enjeu d’urbanisme : l’insécurité foncière est un frein à la planification urbaine. L’ambition est donc de générer des cadastres sûrs et vérifiés. Les villes possédant des registres fonciers sûrs peuvent mieux planifier leur développement.

Dans ce contexte, se développent de nombreuses plateformes innovantes qui visent à sécuriser le foncier à travers les pays en développement. De quelles manières les nouvelles technologies d’information et de communication sont utilisées dans le secteur foncier dans les villes des Suds ? Nous le verrons dans cet article au travers d’exemples au Kenya, au Rwanda, en Inde et au Ghana.

 Les plateformes gouvernementales au Rwanda et au Kenya

Figure 1 – Plateforme eCitizen (Kenya)

Au Kenya, un programme de numérisation foncière a été mis en place en 2014. La première phase concernant les aspects légaux, réglementaires et les autorisations de la part de différentes cours légales a eu lieu en 2014. En 2016, le programme a permis la numérisation des titres fonciers dans 13 agences foncières en 2 mois. En Janvier 2017, au début de la troisième phase, 155 500 documents étaient scannés et 7500 cartes pour les propriétaires de foncier urbain ont été émises. Un registre numérique des propriétés foncières a ainsi été créé. De plus, le gouvernement a mis en place une plateforme gouvernementale, la plateforme eCitizen, sur laquelle il est possible pour les citoyens, ainsi que tous résidents enregistrés et visiteurs, de réaliser des paiements et d’avoir accès à des services en ligne : rechercher des parcelles à l’échelle de Nairobi, bientôt aussi la possibilité de faire des demandes de copie de titres fonciers et de quittances de loyer foncier.

Figure 2 – NLUPP (Rwanda)

Le Rwanda a été le premier pays à créer un site dédié à l’usage des sols en Afrique, NLUPP (National Land Use Planning Portal). Les rwandais disposant d’un accès internet ont accès aux plans d’usage des sols et autres données spatiales. Cela permet un gain de temps dans la recherche de documents, lors de transactions foncières par exemple. Ici aussi, l’enjeu de transparence est au centre de cette mesure, en plus d’une simplification des procédures pour le public. Le registre cadastral est plus simple d’accès que les registres papiers à feuilleter dans les agences. Les données valables sur le portail se concentrent principalement sur le cadastre, les masters plans de l’usage des sols, à l’échelle du district et de la ville, ainsi que les régulations de planification. Cette plateforme a été conçue pour un large public : les populations, les dirigeants et les décideurs politiques, le secteur de l’éducation. Elle permet l’amélioration des services publics, créer un cadre propice à l’entrepreneuriat et l’innovation, faciliter la coopération entre décideurs publiques, l’amélioration de la gestion et du suivi de la planification urbaine.

Cadasta, une organisation internationale

Cadasta est une organisation à but non lucratif. Elle vise à simplifier, moderniser et accélérer la réalisation des documents de droits de propriété là où cela n’existe pas encore. Pour ce faire, on s’appuie sur l’utilisation d’outils numériques et technologiques simples. Cadasta agit auprès d’organisations internationales, les gouvernements et communautés locales afin de les aider à documenter, analyser, stocker et partager avec efficacité les informations sur le foncier et les ressources.

Figure 3 – Carte des droits traditionnels sur le foncier au Ghana, Cadasta

Figure 4 – Carte des petits cultivateurs en Inde, Cadasta, source : site de Cadasta

En créant un registre foncier accessible, ils aident à renforcer les capacités de tous leurs partenaires. En effet, avec les informations concernant leur foncier, il leur devient plus aisé de prendre des décisions basées sur les données, de sécuriser leurs ressources et ainsi construire des communautés plus fortes et durables.

Une initiative du secteur privé au Ghana, BenBen

Les transactions foncières au Ghana sont complexes et sujets à des conflits. Cela résulte du système foncier ghanéen en lui-même, entre héritage de la colonisation, droit dit traditionnel et modernisation des lois. Cette inconsistance empêche aussi l’Etat de générer des revenus via des taxes foncières. Il a alors peu de prise sur les facteurs influant l’évolution de la question foncière. D’autre part, les transactions lorsqu’elles sont réglementées sont très longues. Selon BenBen, le « trapped capital », capital que l’on peut tirer de la ressource foncière mais qui n’est pas accessible en raison des blocages à l’accès à la propriété foncière, représente 108 milliards de dollars au Ghana.

Figure 5 – inscription “Cette propriété n’est pas à vendre” à Accra (photo personnelle, 2017)

Pour se protéger des vendeurs véreux, on peut retrouver la phrase « This land / property is not for sale » sur les murs de terrains non aménagés. Cela est d’usage dans beaucoup de villes africaines car ce sont ces terrains qui sont l’objet de ventes frauduleuses. Au Ghana, 70% des procès concernent ainsi le foncier. Face à ces défis, les acteurs non-étatiques ont un rôle clé à jouer, particulièrement en raison du manque de compétences des agences publiques.

Figure 6 – Plateforme BenBen, source : site de BenBen Ghana

BenBen est une start-up visant à développer une application mobile et une plateforme internet qui permet de simplifier et de sécuriser les transactions foncières dans la région du Grand Accra, au Ghana. La société a été fondée en 2015 après que l’un des fondateurs, Emmanuel Noah ait observé les difficultés liées au foncier durant son expérience professionnelle à la Commission des Affaires Foncières.

Cette solution émane donc du secteur privé, s’appuyant sur l’implication des particuliers et des banques afin de créer un registre propre à la plateforme. Les particuliers inscrits et les banques partenaires donnent accès à leurs documents fonciers : plans de sites, titres fonciers, et autres documents certifiés. Ces données sont digitalisées par des développeurs SIG et web, créant le cadastre et le registre foncier propres à la plateforme. Toutes ces données sont vérifiées et enregistrées auprès de la Commission des affaires foncières, lui permettant elle aussi d’avoir un registre à jour. Ces informations sont stockées et sécurisées grâce à la technologie BlockChain. Les parcelles sont représentées sur une carte générée sur la plateforme. Elles sont aussi localisables sur Google Earth.

La plateforme permet aux banques disposant d’un compte sur celle-ci d’avoir accès, à l’aide de la carte interactive d’Accra, au statut d’occupation de chaque parcelle. La carte montre quelles sont les zones où le foncier est sécurisé, celles où les banques peuvent investir avec plus de sûreté. Elle met en lumière les cas d’incohérence due à la multiplicité de propriétaires sur un seul terrain.

Pour ce qui est des particuliers, ils peuvent ouvrir un compte, en renseignant plusieurs données qui seront vérifiées (identité, emploi, historique banquier), puis chercher une propriété à acquérir, à l’aide de la carte interactive sur l’application. Les utilisateurs, banques comme particuliers, ont accès aux documents fonciers liés à chaque parcelle. Une fois une propriété choisie, le particulier peut faire une demande de prêt auprès de la banque de son choix en contactant les comptes des banques sur l’application. La banque de son côté reçoit alors la demande de prêt, comme on reçoit une demande d’amis sur Facebook. Elle peut l’étudier, étudier les données sur le terrain et les documents du demandeur, puis refuser ou accepter la demande.

Figure 7 – Plateforme BenBen, source : site de BenBen Ghana

L’utilisation des nouvelles technologies et des systèmes d’information géographiques représentent un des points forts de cette solution. L’application, les transactions, les données personnelles sont sécurisées à l’aide de la technologie BlockChain. Ainsi, BenBen s’inscrit dans un modèle international de smart city, et cela tout en étant adapté au contexte local (les spécificités du système foncier ghanéen). La numérisation représente en elle-même un changement de paradigme, mutation sociétale, avec l’avènement de l’ère du « tout numérique », des smartphones et par extension, de la smart city. Cette solution permet aussi le renforcement de capacité avec l’amélioration du service public, des procédures d’enregistrements et de transactions plus rapide et de l’accès aux taxes.

Néanmoins, dans les faits, la plateforme a peu d’effets sur les pratiques informelles : elle est plus destinée aux classes moyennes et aisées. Le cadastre numérique est une version plus sûre du cadastre mais les conséquences telles que l’exacerbation des inégalités dans l’accès au foncier en raison d’une plus grande ouverture au marché, l’attractivité, ainsi que le manque d’adaptation aux populations pauvres représentent des limites.

Le foncier est une ressource essentielle dans toutes les sociétés. Il est nécessaire de l’optimiser, pour un meilleur développement économique et une stabilité sociale. La terre n’est pas une ressource « renouvelable » : le foncier n’est pas infini. Il est donc important de pouvoir le gérer d’une manière durable lorsque l’on sait que la pression sur celui-ci est de plus en plus importante en milieu urbain en Afrique. Un des outils de la sécurisation est la numérisation foncière. En digitalisant les actes fonciers, on réduit les risques de pertes des actes, la prolifération de faux papiers et de fraude, les durées de procédures. On assure aussi la tenure ce qui permet de donner un cadre sûr pour les investisseurs et les banques octroyant des prêts. Il s’agit aussi pour les services publics d’avoir un registre foncier complet et à jour, et sur le long terme de pouvoir créer de nouveaux revenus pour le Gouvernement à travers les taxes foncières par exemple. L’intérêt économique c’est aussi un contexte favorable au développement du marché économique foncier. Pour une meilleure efficacité, un dialogue entre toutes les parties prenantes est nécessaire ainsi qu’un renforcement des capacités institutionnelles et une réflexion quant à la place des populations pauvres dans ce contexte d’innovations. Il est aussi important de bien considérer la numérisation foncière et les diverses plateformes comme des outils mais pas une fin en soi.

Joyce MAVOUNGOU pour ARCHICAINE.

Sources :

CASTEL Robert (1995), Les métamorphoses de la question sociale, Folin essais, 769p.

DURAND-LASSERVE Alain (2009), « La question foncière en Afrique à l’horizon 2050 », Idées pour le développement, http://ideas4development.org/la-question-fonciere-en-afrique-a-lhorizon-2050/

GEOCONFLUENCES, Foncier (question foncière), http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/foncierquestion-fonciere

HALBERT Ludovic (2013), “Les acteurs des marchés financiers font-ils la ville ? Vers un agenda de recherche.”, EspacesTemps.net, https://www.espacestemps.net/articles/les-acteurs-des-marchesfinanciers-font-ils-la-ville/

KAIGA George (2017), « Digitization of land records on course », Kenya News Agency, http://kenyanewsagency.go.ke/en/digitization-of-land-records-on-course/

MONKAM Nara et MOORE Mick (2015), « Les avantages de l’impôt foncier pour l’Afrique », African Research Institute, https://www.africaresearchinstitute.org/newsite/publications/counterpoints/lesavantages-de-limpot-foncier-pour-lafrique/

Site du RNLAU, http://www.rwandalanduse.rnra.rw/index.php?id=2

UNECA (2014), La mise en œuvre des réformes foncières stables et adéquates déclencherait la transformation de l’Afrique, https://www.uneca.org/fr/stories/la-mise-en-œuvre-de-réformesfoncières-stables-et-adéquates-déclencherait-la-transformation

WORLD POPULATION REVIEW (2017), Ghana Population 2017, http://worldpopulationreview.com/countries/ghana-population/

YEBOAH Kwame Ankapong (2014), “Land title registration”, Jumia House, http://house.jumia.com.gh/journal/land-title-registration-ghana/

YEBOAH Kwame Ankapong (2015), “Land ownership in Ghana”, Jumia House, http://house.jumia.com.gh/journal/land-ownership-ghana-part-1/

mav.joyce@gmail.com

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