Adaptation du texte original de Badreddine Ben Henda, journaliste dans “Le Temps”  Tunisie
En principe, l’obtention d’un permis de construire est subordonnée entre autres à la présentation dans le dossier remis à la municipalité d’un plan dessiné par un architecte agréé et portant son cachet. Cependant est-il vrai que toutes les maisons qui se construisent chez nous sont conçues par des architectes ?

écroulement d’un bâtiment à Abidjan(Côte d’ivoire) en 2013

Les plans dont font état les milliers de demandes présentées annuellement passent-ils réellement par les mains d’un architecte professionnel ? Il semble que ce ne soit pas toujours le cas. Car la plupart de nos concitoyens cherchent par tous les moyens à économiser le coût de ce passage obligé, mais comme le document est prioritairement exigé par les autorités municipales, ils contournent le règlement en sollicitant les services d’un technicien supérieur ayant une expérience dans le domaine, lequel se chargera de la conception du plan demandé et saura ensuite se débrouiller pour l’authentifier.

Un responsable municipal nous a révélé que ses services ont découvert il y a quelque temps que sur l’ensemble des plans présentés annuellement aux commissions qui délivrent les autorisations de construire, grand nombre d’entre eux ont été élaborés par des personnes non qualifiées. Pire encore, des dossiers contenant des plans tout à fait en règle ont été refusés alors que les demandes irrégulières ont reçu l’aval desdites commissions.

Pour contrecarrer la frauduleuse manœuvre, il fut décidé, dans sa mairie, que désormais chaque architecte dont le cachet figure sur le plan remis à la municipalité soit convoqué aux réunions périodiques de la commission qui le concerne et défende en personne son travail. Les techniciens municipaux sauront alors distinguer les documents authentiques de ceux qui ne le sont pas. « Au bout de quelque mois, assure ce fonctionnaire, on a constaté que le taux des fraudes a nettement baissé.

Mais le problème se posera sous d’autres formes lors des étapes suivantes : car nous avons des difficultés à contrôler l’exécution effective des plans agréés par nos commissions. Les citoyens ne s’y conforment presque jamais au moment de construire. C’est ce qui donne au final des modèles de construction parfois complètement différents de ceux que nous avons acceptés.»

Chantier construction d’une maison au BENIN

Le maçon-ingénieur
On se demande en effet en constatant l’incongruité de certaines constructions comment elles ont été autorisées et si c’est un architecte qualifié qui en avait esquissé les formes : des murs inégaux, des saillies inesthétiques, des angles arrondis et des courbes angulaires, des fenêtres mal placées et des entrées inopportunes, un encombrement par-ci et des vides injustifiés par-là. Bref, des défauts de conception impardonnables qui dénoncent le mauvais goût et le manque de rationalité de celui qui commande les travaux et non la maladresse d’un quelconque architecte.

En effet, de nos jours le moins qualifié des maçons s’improvise ingénieur en bâtiment et prétend ériger les châteaux les plus somptueux sans avoir à respecter les ébauches des architectes qui les ont imaginés. Ils vous proposent tantôt des extensions, tantôt des réductions, sinon vous déplacent les entrées, orientent autrement les balcons, édifient un ornement inutile, proposent une qualité différente de faïence ou de marbre, mettent des piliers là où il n’en faut pas et les oublient quand ils sont indispensables. Certes, l’expérience dont témoignent certains les habilite à porter conseil aux propriétaires et dans certains cas, ils ont de bien meilleures idées que les élites diplômées. Seulement des artisans aussi doués se comptent actuellement sur le bout des doigts et lorsqu’ils sont imbus de leur habileté, ils vous coûtent trois fois plus cher qu’un entrepreneur authentique.

Immeuble quartier Vêdoko  Cotonou BENIN

L’Ordre (élargi) des architectes !
Mais il n’y a pas que les ouvriers du bâtiment qui interviennent dans l’aspect final que présente une maison nouvellement construite. Le maître de céans a aussi son mot à dire et suggère à sa main d’œuvre mille caprices. Il lui arrive aussi de vouloir imiter un détail relevé dans la maison d’un voisin ou d’un « ami ». Ces derniers ne sont pas en reste : quand ils se rendent sur le chantier, ils ne gardent jamais pour eux leurs géniales propositions. « Tu aurais dû placer l’escalier de ce côté ; ta salle de bain pouvait être plus spacieuse si… ; ce bois-là n’est pas le bon ; pour jouir d’un peu plus de lumière, tu pourrais changer l’emplacement de ce balcon ; et si tu ajoutais un placard encastré dans ta cuisine, et si tu élevais un garde-fou par-ci, et si tu concevais une voûte sur le toit ; etc. ». La chère et tendre épouse prodigue aussi ses conseils qui, dans la plupart des cas, résonnent comme des ordres aux oreilles du mari. Elle veut une poutre marbrée au milieu du salon, une chambre à coucher aux dimensions d’un stade de hand-ball, une salle de bain bleu ciel, une chambre d’amis peinte en vert, et des murs roses pour la pièce des enfants ! Ces derniers peuvent suggérer à leur tour les modifications qu’ils veulent, leurs grands-parents aussi et les camarades d’école, la femme de ménage, le laitier et peut-être aussi le facteur et l’employé de la STEG !! C’est tout ce monde, messieurs les responsables municipaux, que vous devez convoquer aux réunions de vos commissions. Car nous sommes tous devenus architectes !

Source archi-mag.fr